mardi 12 juillet 2011

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Ma rose


Le petit prince s’en fut revoir les roses.
– Vous n’êtes pas du tout semblables à ma rose, vous n’êtes
rien encore, leur dit-il. Personne ne vous a apprivoisées et vous
n’avez apprivoisé personne. Vous êtes comme était mon renard.
Ce n’était qu’un renard semblable à cent mille autres. Mais j’en
ai fait mon ami, et il est maintenant unique au monde.
Et les roses étaient bien gênées.
– Vous êtes belles, mais vous êtes vides, leur dit-il encore.
On ne peut pas mourir pour vous. Bien sûr, ma rose à moi, un
passant ordinaire croirait qu’elle vous ressemble. Mais à elle
seule elle est plus importante que vous toutes, puisque c’est elle
que j’ai arrosée. Puisque c’est elle que j’ai mise sous globe.
Puisque c’est elle que j’ai abritée par le paravent. Puisque c’est
elle dont j’ai tué les chenilles (sauf les deux ou trois pour les pa-
pillons). Puisque c’est elle que j’ai écoutée se plaindre, ou se
vanter, ou même quelquefois se taire. Puisque c’est ma rose.
Et il revint vers le renard :
– Adieu, dit-il...
– Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple :
on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les
yeux.
– L’essentiel est invisible pour les yeux, répéta le petit
prince, afin de se souvenir.
– C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose
si importante.
– C’est le temps que j’ai perdu pour ma rose... fit le petit
prince, afin de se souvenir.
– Les hommes ont oublié cette vérité, dit le renard. Mais tu
ne dois pas l’oublier. Tu deviens responsable pour toujours de
ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose...
– Je suis responsable de ma rose... répéta le petit prince,
afin de se souvenir.


Antoine de Saint-Exupéry
Le Petit Prince
Le livre en PDF ici

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